Codev : la participation citoyenne, ça marche ?
- lespandasroux
- 12 sept.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 sept.
Depuis 2022, la communauté d’Agglomération de La Rochelle s’est doté d’un Conseil de développement. Avec une particularité : cette assemblée de 82 membres est 100% citoyenne. Après trois ans de mandat et en plein renouvellement, nous avons pu poser quelques questions à l’élue en charge de ce Codev et à deux de ses membres. Rencontres.
Interview de Marie Ligonnière, vice-présidente de La Rochelle Agglo en charge du Codev
Un Conseil de développement (Codev) est obligatoirement mis en place dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre (comme les communautés d’agglomération, les communautés de communes, etc.) de plus de 50 000 habitant·es. La Rochelle Agglo, qui regroupe 28 communes et près de 180 000 citoyennes et citoyens, a fait le choix de faire de ce Codev qui existe depuis 1999 une assemblée 100% citoyenne en 2022, « pour une raison très simple : afin de lutter contre la défiance qu’il peut y avoir entre élus et citoyens. Et, en quelque sorte, pour rapprocher une démocratie représentative d’une démocratie participative », explique Marie Ligonnière, vice-présidente de La Rochelle Agglo en charge de la participation citoyenne, des transitions et du Conseil de développement. À La Rochelle Agglo, le Codev respecte la parité femmes-hommes (une obligation) et est représentatif de tous les âges et des différentes communes de La Rochelle Agglo, ce qui est une spécificité en France, souhaitée par élu·es du conseil communautaire.
À quoi ça sert, un Codev ?
Selon le site service-public.fr, le Codev est consulté sur :
> l'élaboration du projet de territoire ;
> sur les documents de prospective et de planification résultant de ce projet ;
> sur la conception et l'évaluation des politiques locales de promotion du développement durable du périmètre de l'EPCI.
Concrètement, le Conseil de développement est saisi sur des sujets précis (il peut aussi s’auto-saisir) et est
appelé à rendre un avis sur ces sujets. Durant les trois ans du premier mandat citoyen, les membres du Codev ont été saisis sur "comment rendre acceptables les projets liés aux énergies renouvelables", une première saisine sur « un sujet assez délicat au point qu’il a fait débat au sein même du conseil communautaire composé d’élus », confie Marie Ligonnière. Pas étonnant puisqu’il s’agit, entre bien d’autres choses, de déterminer par exemple combien d’éoliennes implanter sur le territoire et où précisément. Ce n'est qu'un petit exemple... L'avis rendu par le Codev a permis d'enrichir le plan climat-air-énergie territorial (PCAET), objet éminemment stratégique et précieux pour un territoire.
Le Codev s’est ensuite auto-saisi sur (l’épineuse) question « Peut-on aller plus loin dans la réduction de l’usage des intrants chimiques (pesticides, herbicides, fongicides) ?", qui pose de nombreuses questions de santé publique, de pollution de l’air, de l’eau et des sols et participe de l’érosion de la biodiversité (en plus de questionner un modèle agricole qui ne nourrit pas toujours les humains et ne fait pas vivre de leur travail tou·te·s les agriculteur·ices).
Il a enfin été saisi sur la question de l’Habitat, « saisine très courte qui a généré un peu de frustration de la part du Codev qui avait pris l’ habitude de réfléchir et de travailler sur du temps long », confie Marie Ligonnière à qui certain·es membres ont partagé cette frustration. « Pour autant, la qualité du travail était au rendez-vous. »
Comment fonctionne ce Codev ?
C’est un engagement sur du temps long (3 ans), à raison d’un samedi toutes les cinq ou six semaines et non rémunéré (mais il parait que la cantine, offerte, est bonne !). Les membres du Codev bénéficient alors de montées en compétences sur les sujets traités. « On a accès à des conférences de sociologues, de chercheurs, etc. qui expliquent une thématique de manière théorique. Ça permet d’avoir une approche plus précise, plus concrète. Ça permet derrière d’avoir une vision et d’émettre des avis fondés sur des connaissances », explique Florence, thérapeute de 47 ans vivant à La Jarne pour qui rejoindre le Codev fut « une évidence » afin de « contribuer aux enjeux de l’Agglo et de connaitre le fonctionnement des instances ».
Interview de Florence, membre du Codev qui ne renouvelle pas son mandat
« Le Codev s’appuie sur les valeurs républicaines »
Dans l’esprit, ça donne quoi ce Codev ?
Gildas, jeune retraité, habitant de La Rochelle, « citoyen engagé avec un peu de disponibilité » nous donne sa vision : « Je dirais qu’il s’appuie un peu sur les valeurs républicaines. La liberté, à travers la liberté d’expression, on l’a. L’égalité, on l’a car c’est paritaire, il y a toutes les tranches d’âge… il y a aussi la fraternité que je retrouve un peu dans ce Codev : comment, tous ensemble, sans jugement, avec qui on est, on arrive à contribuer aux politiques publiques qui vont être menées. »
Quel bilan ?
« Le bilan partagé par tous les élu·es, qu’ils soient convaincus ou pas par cette démarche, c’est que le travail fourni par les citoyennes et citoyens et d’une grande qualité. Je le dis de façon simple mais je suis bluffée par la densité et la qualité des travaux rendus par le Conseil de développement », s’enthousiasme Marie Ligonnière. Côté citoyen·nes, c’est l’ouverture d’esprit permise qui est saluée : « Je dirais que ça a un peu dilaté ma pensée. Parce que les problématiques des gens qui habitent les communes qui sont à un quart d’heure de La Rochelle en voiture ne sont pas les mêmes que les miennes, moi qui vis à 15 minutes du centre ville à vélo. Ce ne sont pas les mêmes au niveau de l’énergie, des déplacements et même de l’alimentation. Donc il y a une foultitude de choses que j’ai découvertes et que je ne soupçonnais pas sur ce territoire-là. Il y a une belle richesse, une belle vitalité et, en même temps, les politiques publiques sont menées collectivement sur l’ensemble du territoire », salue Gildas. C’est la capacité à s’écouter et se respecter que retient Florence : « Le consensus c’est pas binaire ! Je me suis rendue compte [NDLR sur le sujet de l’agriculture] que les gens ne font pas pour être à contre de l’autre mais parce qu’ils ont leurs propres raisons et c’est entendable. […] J’ai compris les enjeux, j’ai compris pourquoi les gens ne se comprennent pas, j’ai eu accès à des personnes que je n’aurais pas côtoyées sinon donc j’ai un bilan très positif. Ça crée du lien, je trouve. »
« Elle est venue habitante et en est ressortie citoyenne »
Un souvenir marquant ?
Trois ans à discuter sur des sujets de politiques publiques à 82 pour rendre un avis collectif, c’est une expérience qui doit laisser des traces. Alors on a demandé à chacun·e de nous raconter un souvenir marquant.
Gildas : « Dans les rapports que l’on écrit, il a fallu faire une introduction et une conclusion. Là je me suis dit, "comment, à 40, 50, 60, on va écrire 20 lignes et se mettre d’accord sur ces 20 lignes ?". Et j’ai été bluffé de la façon dont ça s’est passé, de la pertinence des introductions et des conclusions qu’on a écrites déjà… Et qu’on s’est mis tous d’accord. Et je crois qu’on a tous été contents des documents qu’on a réussi à sortir. »
Florence : « J’ai bien aimé l’un des premiers votes à mains levées. C’était rigolo de voir qu’individuellement, on avait le droit de dire ce qu’on pensait, un « oui » / « non », qu’on était entendu mais que collectivement, on était tous d’accord pour dire que c’est la majorité qui l’emportait. On est différents, on partage nos propres expériences mais on accepte à la fin d’être diffus dans le collectif. Ça fait beaucoup de bien. »
Marie Ligonnière : « J’ai le souvenir d’un déjeuner avec les membres du Codev et une des représentantes m’a indiqué qu’elle était venue habitante et qu’elle était ressortie citoyenne. Et j’ai trouvé cette phrase impactante et révélatrice, je pense, de l’expérience qu’ils peuvent vivre. »
Interview de Gildas, jeune retraité vivant à La Rochelle, qui renouvelle son mandat !
« J’avais un doute »
Se sont-ils sentis utiles ?
On sent que l’expérience a été positive mais au-delà de la découverte du fonctionnement des instances, des sujets qui font le territoire et l’écoute des autres (ce qui en soi est déjà pas mal !), ont-ils le sentiment que leur concours a été utile ? « Le seul petit doute que j’avais avant de me lancer, c’est sur la sincérité des politiques qui nous ont présenté le projet. Je me suis dit, est-ce qu’ils sont sincères, est-ce qu’ils sont vrais ? Est-ce qu’ils vont être vrais jusqu’au bout ? Est-ce qu’ils vont bien nous accompagner, est-ce que ça va pas être de la démocratie participative à 100 sous. Et j’ai pas ressenti ça du tout. Tant au niveau des élus que des chefs de services techniques, j’ai senti une écoute et un intérêt pour tout ce qu’on se partageait, tout au long des trois dossiers qu’on a menés », se souvient Gildas. « J’ai senti de l’écoute de la part de Marie Ligonnière et des services techniques mais j’avoue que je n’ai pas été très à l’écoute des résultats. Parce que, à titre personnel, je venais rendre un avis et après, ça ne m’appartient plus. Je dirais quand même que nos échanges avec les services techniques ont apporté d’autres manières de faire et d’autres idées », explique Florence.
Codev : tout le monde est légitime ?
Le bilan doit en effet être positif car la moitié des membres du Codev a choisi de renouveler son mandat, dont Gildas (mais pas Florence). Le Codev est donc à la recherche d’une quarantaine de nouveaux membres. Les citoyennes et citoyens ont jusqu’à fin septembre pour candidater (infos et candidatures ICI).
Un engagement qui peut faire peur quand on ne sait pas à quoi s’attendre, c’est pourquoi on a posé cette question à Marie Ligonnière : tout le monde est légitime pour candidater ?
Réponse spontanée, ponctuée par un rire :« Exactement comme pour les élus ! Tout le monde est légitime à avoir envie d’agir pour l’intérêt général et c’est la seule motivation qu’il doit y avoir à mon avis. Une chose importante selon moi, c’est que s’engager dans ce genre d’expérience, c’est accepter d’être confronté à cette question de l’intérêt général. C’est important de venir avec ses convictions, ses propres ambitions et ses motivations mais c’est bien dans l’intérêt général qu’il faudra agir. […] Donc c’est pas l’expertise, c’est pas les compétences particulières qui comptent, c’est l’envie d’agir pour l’intérêt général dans l’intelligence collective.
Avec une petite précision tout de même, il manque certains profils pour que la représentativité d’âge et géographique soit respectée : les 16-30 ans et les habitants des communes de la troisième couronne de l’Agglo (Bourgneuf, La Jarne, Saint-Christophe, Saint-Médard d’Aunis, Saint-Vivien, Salles-sur-Mer et Vérines) sont pour l’instant sous-représentés. Une fois les candidatures adressées, un tirage au sort sera effectué. Affaire à suivre…
On conclut cet article avec l’une des raisons qui ont poussé Gildas à s’engager dans ce Codev : « Rejoindre cette aventure, dans une société quand même un peu angoissante avec ses crises, notamment écologique, c’est peut-être aussi une manière de s’engager et de faire baisser son niveau d’éco-anxiété. »
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