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La redirection écologique : une opportunité pour « la France moche » ? (et vice-versa)

lespandasroux

Dernière mise à jour : 16 oct. 2024

Le 4 octobre dernier, le collectif Urbagenèse organisait une table ronde dans les locaux de La Matière pour aborder cette question, formulée de manière moins putaclic que dans notre titre : « Régénération des zones commerciales de périphérie : une opportunité pour la transition écologique ? ». La présence d’expert·es du sujet et du docteur en philosophie Alexandre Monnin, que nous avons eu le plaisir de questionner, a rendu ce sujet passionnant. On en partage quelques infos clés et réflexions.





« Le sujet a jailli lors de l’une de nos réunions mensuelles. Il est passionnant parce qu’on parle de tout quand on traite des zones commerciales », explique Edgard Valero, président d’Urbagenèse, en introduction de la table ronde « Régénération des zones commerciales périphériques : une opportunité pour la transition écologique ? ». On est parfaitement d’accord. On ajouterait même que ce sujet est éclairant sur la crise de sens dans laquelle nous sommes embourbé·es. Mais avant d’entrer dans le dur, petit point sur les amphitryons de cet événement : Urbagenèse et La Matière.


Urbagenèse d’abord, à l’initiative de la table ronde, est un collectif qui regroupe 13 acteurs du territoire rochelais qui oeuvrent « à la transition des modes de production de la ville durable, agréable et végétale ». Une sorte de think tank entrepreneurial qui entend être un laboratoire d’idées et qui « parie sur une démarche pluridisciplinaire, holistique, favorisant l’intelligence collective, la mutualisation des expertises et des retours d’expériences pour investir la recherche appliquée de solutions, en réponse aux besoins et attentes de ses clients [NDLR : les collectivités et les aménageurs] ». Qui organisait donc son deuxième événement à La Matière autour de cette thématique.


Quant à La Matière, membre du collectif Urbagenèse, c’est un tiers-lieu emblématique du territoire spécialiste de l’économie circulaire et d’autres manières de faire, avec les matières au coeur de ses activités. De la matière grise pour (re)penser le monde de manière juste, écologique et éthique et de la matière brute pour le façonner (dans une approche circulaire). Les deux se répondant sans cesse dans la pluralité des activités menées par la structure : éco-conception d’espaces et d’objets, ateliers de sensibilisation, ateliers de fabrication à partir de matières issues du réemploi, magasin des matières (de seconde main) qui est une sorte d’éco-caverne d’Ali baba, conférences et, même, un marché de Noël joyeux depuis deux ans (que Les Pandas Roux fréquentent assidûment pour ses producteur·rices et… sa fanfare !).


Pour réfléchir à la thématique du soir devant un public hétéroclite d’une cinquantaine de personnes, un casting d’expert·es de haut vol était réuni :

> Christelle BREEM, directrice des fonds « reconquête commerciale » à l’Agence nationale pour la cohésion des territoires

> Pascal MADRY, directeur de l’Institut pour la Ville et le Commerce, président du bureau d’études et de recherches en économie urbaine Reeter

> Benoit CAZALES, directeur territoire Grand Ouest de Nhood

> Alexandre MONNIN, docteur en philosophie et expert en design de redirection






« Fin des évidences et de l’abondance » ?


La table ronde s’est ouverte sur la projection d’une version courte de la vidéo ci-avant, réalisée par Les Futuribles, qui interroge : « À quoi ressembleront les zones commerciales en 2050 ? ». Est-ce que les zones commerciales françaises, au nombre de 1 500 selon l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), vont être désertées comme les dead malls aux États-Unis et devenir des friches ? Ou vont-elles radicalement être transformées, devenant des zones mixtes intégrant des logements, des lieux de divertissement, des espaces verts, des commerces dédiés à l’économie de la fonctionnalité et de la réparation, desservies par des transports en commun comme c’est le cas dans le scénario « désirable » élaboré dans la vidéo ? Réponse du premier intervenant, Pascal Madry : « Je voudrais commencer par dire qu’en ce qui me concerne, ce n’est pas une ville désirable ce que je vois là. C’est toujours le zoning hérité des 30 Glorieuses ». Un zoning pensé par et pour la société de consommation et la voiture individuelle. La fameuse « France moche ».




 

Dead Malls


Un centre commercial vacant, appelé en anglais dead mall, est un centre commercial victime d'un grand nombre de fermetures ou de vacances de ses magasins, provoquant souvent une perte d'attractivité telle qu'elle remet en cause l'existence même du centre commercial ou de la galerie marchande.

Ces dernières années, environ 1 100 malls auraient fermé aux État-Unis. Laissant ces espaces complètements déserts comme le montre le travail de l'artiste Seph Lawless :





 


La France « moche », de quoi on parle ?


La France « moche », baptisée ainsi dans un article de Télérama paru en 2010 qui a fait polémique, c’est cette France qu’on appelle aussi « périphérique », où les campagnes reculent au profit de zones tantôt commerciales, tantôt industrielles, tantôt d’activités économiques qui se trouvent à l’entrée des villes et qui se ressemblent toutes plus ou moins : du béton, des bâtiments en taule en forme de boite à chaussures, des parkings, des ronds points, des autoroutes et des échangeurs pour y accéder et, de Marseille à Brest, à peu près les mêmes enseignes de ventes en tous genres. Bah, la France « moche » quoi (en tous cas qualifiée comme telle par ceux qui ne la fréquentent pas, dans une sorte de mépris de classe)… qui est, notons-le, de plus en plus retapée ces dernières années (par ceux qui s'en remplissent les poches ?). Avec des petits arbres, des jardinières parsemées ici et là, du bois ajouté sur les façades des Décathlon, Gémo et autres Go Sport et des noms si douillets comme « Family Village » à Limoges qu’on aurait envie d’y passer tout notre samedi. Ce qui est tout à fait possible car des équipements sportifs à l'habillement en passant par l’ameublement, le bricolage, l'alimentation, la déco, la concession automobile, les espaces culturels, les magasins de jeux et l’offre de restauration pléthorique, tout est fait pour y passer un maximum de temps. À tel point que « zones de la consommation de masse » eut été un meilleur qualificatif.




 

Les infos (qui nous ont fait tomber de notre chaise)


Aujourd’hui, en France, c’est dans ces zones que 60% des dépenses commerciales ont lieu

(contre 15% pour les centres-villes et 10% pour Internet).

Nous qui pensions que l’Internet régissait tout ! (Il est quand même en forte dynamique).


Depuis les années 1960, la construction dans ces zones est en constante hausse

(à l’exception des périodes de ralentissement économique général)

et la course aux mètres carrés supplémentaires se poursuit du côté des enseignes, quitte à ne pas les exploiter.


 


Disparition ou renouvellement ?


Et Pascal Madry de poursuivre avec une question qu’on n’a même pas osé poser à Alexandre Monnin, interviewé juste avant l’événement : « Est-ce qu’en 2050, on aura encore besoin de ces zones commerciales ? Les ménages sont déjà globalement équipés. » Intervention qui pose la question de la fuite en avant de la production qui s’appuie sur « l’innovation » (« innovation » étant à mettre entre guillemets tant la réification du monde au détriment des espaces naturels, des vivants, des humains et des liens n’a rien à voir avec la connotation positive que l’on pourrait attribuer à ce mot) et les investissements massifs dans la publicité pour vendre toujours plus de biens, même quand on n’en a pas besoin (sans parler de l’obsolescence programmée). « Et écologiquement, ces zones ne cochent aucune case », précise Pascal Madry. Ce sont en effet des espaces naturels articificialisés, pauvres en biodiversité, consommateurs de ressources, peu efficaces énergétiquement, conçus pour le tout-voiture (qui roulent encore massivement à l’énergie fossile) et qui restent des temples de la consommation de masse, cause profonde de la catastrophe écologique.




 

Économie linéaire vs. Économie circulaire


Comme nous sommes dans le haut lieu de l’économie circulaire local (La Matière)

et qu’on est au coeur du sujet, on fait un point sur cette notion.

Actuellement, nos sociétés fonctionnent encore massivement sur un principe d’économie linéaire :

on extrait de la matière de la croûte terrestre, on dépense beaucoup d’énergie pour ce faire,

pour la transformer en objets, puis pour distribuer des objets et enfin les jeter

(parfois on les recycle mais de manière marginale et coûteuse). Ceci créant tout un tas « d’externalités négatives » comme on dit dans le langage policé des affaires, c’est-à-dire des déchets et tous types de pollutions. En plus de la déstruction/détérioration des écosystèmes et des maltraitances induites sur l’ensemble de la population mondiale, dans les pays dits en développement comme dans les pays dits riches.

L’économie circulaire, quant à elle, est une philosophie qui au contraire prône la sobriété

dans la conception et la réduction des déchets en partageant, réutilisant, transformant,

réparant, rénovant les matières premières et objets qui ont déjà eu une vie.


 



24 is the new 500


Que nos sociétés basculent dans la déconsommation ou pas (on adore les spots pubs de l’Ademe sur les « dévendeurs » en plein Black Friday), (re)penser l’aménagement de ces zones commerciales qui couvrent 500 millions de mètres carrés en France est un impératif écologique, économique et social. 500 millions, c’est d’ailleurs le nombre d’euros estimés il y a plus d’un an pour régénérer ces zones « moches ». Qui se sont transformés en 24 millions d’euros en septembre 2023, nouvelle enveloppe allouée à 74 lauréats de l’appel à projet « plan de transformation des zones commerciales ». Christelle BREEM, directrice de l’ANCT qui copilote le plan, en explique la philosophie : « Il faut sortir des logiques en silo dans ce travail de requalification des zones commerciales et adopter une approche ensemblière. Il faut également intégrer les objectifs de ZAN (NDRL : Zéro Artificialisation Nette à l’horizon 2050, comme stipulé dans la loi « Climat et Résilience » de 2021), ce qui induit une certaine sobriété foncière par une optimisation des surfaces déjà artificialisées et une amélioration de la qualité environnementale de l’existant (rénovation thermique, efficacité énergétique, etc.) ». En plus de l’intégration d’activités économiques compatibles avec l’Accord de Paris, de la création de logements, de nouvelles dessertes de transports, de renaturation, etc. Puisqu’on parle de foncier, notons que la question de la propriété est éminemment stratégique (comme le rappelle Alexandre MONNIN dans la vidéo en tête d’article) et détermine en partie les choix en matière de requalification des zones commerciales.



"La question de la gouvernance des projets et de la capacité à associer tous les acteurs est une clé de la réussite"




Entretien avec Christelle BREEM, directrice des fonds "reconquête commerciale" de l'ANCT,

en marge de la table ronde.




La régénération : un concept cosmétique ?


Troisième invité de cette table ronde, Benoit Cazales, directeur territoire Grand Ouest de Nhood, société immobilière créée par l’Association familiale Mulliez (AFM), témoigne de la prise de conscience des acteurs privés (tantôt propriétaires de foncier, tantôt aménageurs, tantôt exploitants, parfois les trois) : « Aujourd’hui, tout le monde a compris que les zones commerciales ne peuvent plus se développer comme elle l’ont fait jusqu’ici. Et je crois que nous sommes dans un momentum, ce moment dans l’histoire où des élans sont possibles, où nous pouvons nous réunir et penser l’aménagement et les activités de ces zones commerciales différemment ». Il déroule ensuite des exemples d’aménagement déjà réalisés par Nhood comme à Villeneuve d’Asq où une friche industrielle qui hébergeait un ancien entrepôt des 3 Suisses se transforme en quartier mixte avec logements, bureaux, hôtellerie, crèche… et la désormais traditionnelle ferme urbaine. Projet qui ressemble peu ou prou à celui du scénario « désirable » de la vidéo Futuribles. Bien sûr, ces quartiers rénovés ont plus de sens que les zones bétonnées héritées des 30 Glorieuses mais la logique reste la même : constructions lourdes, gourmandes en ressources et consommation en sont toujours le moteur. Chez Les Pandas Roux, nous posons la question : réduire nos vies à la consommation, est-ce un futur (en)viable ?




Si le Dalaï Lama et Mère Teresa jouent ensemble au Monopoly…


Au moment des échanges avec le public, on a failli poser une question à Benoît Cazales mais avons été précédés par une dame : « Comment vous intégrez les gens dans la restructuration de ces zones commerciales ? Avez-vous pensé à faire participer des artistes aux réflexions ? » Vague réponse sur le fait que les populations sont consultées lors de réunions publiques. Qui n’ont évidemment pas voix au chapitre quand il s’agit de rentrer dans le dur des projets. Vous connaissez l’adage : « c’est celui qui paye qui décide… » Et celui qui paye, en l’occurrence l'Association familale Mulliez (presque un oxymore quand on sait que cette "association familiale" est propriétaire de nombreuses enseignes comme Auchan, Décathlon, Leroy Merlin, Norauto, Flunch…), quand il décide de changer radicalement son modèle économique pour être plus vertueux, il s’expose à se faire piquer ses parts de marché(s) par un concurrent et/ou à être beaucoup moins rentable. Résultat ? Il ne change donc pas radicalement son modèle économique. Comme le rappelle Martin Serralta : « Si le Dalaï Lama et Mère Teresa jouent ensemble au Monopoly, la fin est toujours la même. On n’a pas un problème de joueurs, on a un problème de jeu ». Ces règles, c’est collectivement qu’il va falloir les changer, en ayant bien toutes et tous conscience des enjeux. Et en misant sur la créativité et le courage de (réellement) « penser en dehors de la boîte » (à chaussures).




Moratoire sur les constructions dans le Var


On conclut cet article avec un exemple de « changement radical » mis en partage par le philosophe Alexandre Monnin en fin de table ronde : « En 2022, la communauté de communes de Fayence, dans le Var, a fait face à la sécheresse au point que les tensions sur la ressource en eau ont été fortes. Pour faire face à la crise, la CDC [NDLR : dont le président est étiqueté « divers droites »] a pris la décision drastique de mettre les constructions, gourmandes en eau et pouvant attenter à la salubrité publique dans cette période de manque, « en pause » pendant cinq ans ». Une décision contestée par certains constructeurs devant le tribunal administratif de Toulon… qui a rendu un jugement, en février 2024, validant la décision de la mairie de ne pas délivrer de permis de construire. Une petite révolution. Bienvenue. Qui ne résout pas la question suivante : comment assurer des revenus à des entreprises (et leurs salarié·es) qui vivent de ces activités ? Une question épineuse qui en appelle bien d’autres dont celle de la finalité et des modalités de la redirection écologique (et sociale). C’est ce chantier qu’il convient de mettre sur la table dans les meilleurs délais en réunissant tous les acteurs du secteur, les représentants de l’État/des collectivités territoriales et les citoyen·nes pour réfléchir de manière éclairée, constructive, systémique et démocratique au devenir de nos zones commerciales mais surtout de notre société. Chez Les Pandas Roux, on ajouterait : avec le bien commun en ligne de mire, quitte à créer du frottement (consubstantiel à la redirection de nos modèles de développement). Il nous semble que c’est un peu à cela que nous avons assisté à La Matière ce vendredi soir.


Et vous qui vivez la ville et les zones périphériques, comment aimeriez-vous les voir évoluer ?

Dites-nous, on fera suivre : lespandasroux.lr@gmail.com



Objectifs de développement durable en lien :



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