SOLIDARITÉ - Les sans-abris sont très visibles pour nous qui avons le bonheur d'avoir un toit. Et pourtant, eux se sentent particulièrement invisibles. À tel point que ce qu'ils attendent le plus des personnes qu'ils croisent chaque jour dans la rue, ce n'est pas de l'argent, une cigarette ou un sandwich... Non, un simple "bonjour" contribue à rendre leur journée un peu plus belle. Un simple "bonjour" en dit long, c'est la reconnaissance de leur existence ! Et un premier pas vers autre chose peut-être... Bénédicte, membre de l'association Entourage qui œuvre à connecter les sans-abris et leur riveraines et riverains avec un toit, nous livre un témoignage passionnant, utile et loin des clichés liés aux SDF...
Nous, on a toujours l’impression qu’ils ont besoin de deux euros ou d’un sandwich, mais quand on les écoute, ce qu’ils nous disent, c’est qu’ils ont l’impression de n’exister pour personne. On entend « il y a 3000 personnes qui passent devant moi et il n’y en a que deux qui disent bonjour », on entend « j’ai l’impression d’être un sac poubelle sur le trottoir », on entend « un sourire, ça vaut 100 sandwiches », on entend « si tu savais la chaleur que ça me fait quand quelqu’un me dit bonjour »... on entend tout ça, explique Bénédicte. Et de l’autre côté, les riverain·e·s qui les voient bien, ces personnes sans domicile, confient ne pas savoir quoi faire pour les aider. Sentiment de honte, de peur, d’être démuni·e souvent. Soyons honnêtes, on ne les regarde pas et on change de trottoir. La mission d’Entourage, c’est de faire un pont entre ces deux populations qui se croisent et qui ont certainement des choses à partager.
25%
DES PERSONNES QUI VIVENT DANS LA RUE VIENNENT DE L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE, UNE STRUCTURE QUI NE PREND PLUS EN CHARGE LES JEUNES DÈS QU’ILS ATTEIGNENT LA MAJORITÉ.
Casser les clichés, "Simple comme bonjour" ?
Première arme du réseau pour renouer du lien, le dispositif « Simple comme bonjour », à retrouver au format livret ou sur le site Internet de l’association, qui aborde les thèmes comme la mendicité, l’alcool... et qui casse les clichés sur le sujet pour nous sensibiliser et nous pousser à agir. Pour aider à passer à l’action concrètement, Entourage a également déployé une application qui met en relation riverain·e·s et personnes sans-abri. Eh oui, 50 % d’entre elles ont un téléphone (faut sortir des clichés on a dit !). Sur cette application, on peut créer ou rejoindre des actions solidaires locales, lancées par des riverain·es ou des personnes sans-abri elles-mêmes. Bénédicte illustre avec des histoires vraies : On a par exemple une riveraine qui explique qu’en bas de chez elle, il y a Dimitri, avec qui elle échange régulièrement, qui vient de se faire voler son sac de couchage pour la deuxième fois, et qui demande à la communauté si quelqu’un peut lui en donner un nouveau. C’est aussi Laslo, qui parle hongrois alors que je ne parle pas cette langue : est-ce que quelqu’un·e qui maîtrise la langue pourrait prendre le temps de venir parler un peu avec lui pour lui apprendre les rudiments du français ? C’est encore l’histoire de cette jeune maman qui vit dans un squat et qui n’a plus d’argent pour finir le mois et qui demande si quelqu’un·e peut la dépanner de quelques couches pour son bébé. Des histoires comme ça, Bénédicte en a des centaines.
L’association organise également des événements conviviaux réguliers comme des pétanques ou des babyfoot solidaires, des soirées « jeux de société »... qui regroupent des riverain·es avec et sans toit. Souvent, participer à ces événements est un premier pas pour les riverain·es qui créent un lien durable par la suite.

LinkedOut, le LinkedIn des personnes sans logement
Enfin, mais pas des moindres, Entourage a créé LinkedOut, le réseau social pour offrir un emploi aux personnes dans la rue ! Vous aurez saisi le clin d’œil. L’objectif, c’est de proposer à la communauté de partager sur nos réseaux sociaux les CV des personnes en situation d’exclusion. Lancée en juillet 2019 avec quinze CV, l’opération LinkedOut a, en moins de dix jours, permis de recevoir 150 propositions d’emploi et le soutien d’une centaine d’entreprises. Quatre CDI et des CDD ont été signés dans les semaines qui ont suivi. Le message qu’il y a derrière, c’est que les personnes qui sont dans la rue, ce n’est pas parce qu’elles n’ont pas de talent ou qu’elles n’ont pas de compétences... En revanche on sait que pour trouver un emploi, une personne à 80 % de chances de plus grâce à son réseau. J’ai une très belle histoire, celle d’une femme qui vivait au quatrième sous-sol à La Défense, qui me confiait travailler dans le marketing téléphonique avant d’être à la rue. Dans les jours qui ont suivi ma rencontre avec elle, je rencontre le directeur d’une entreprise qui recherchait justement ce type de profil et me disait « tu te rends compte, il y a trois millions de chômeur·euse·s en France et je ne trouve pas de conseiller·ère en télé-marketing ». Alors on a fait le lien et, depuis, elle est embauchée en CDI. Et cette boîte est tellement géniale qu’elle lui a fourni un logement pendant neuf mois, consciente que c’était un préalable à une réinsertion professionnelle pérenne.
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DES PERSONNES EN SITUATION DE RUE SOUFFRENT D’ALCOOLISME.
CE QUI EST ASSEZ PROCHE DE LA MOYENNE NATIONALE.
Un comité de la rue
Pour développer ces outils utiles à toutes et tous, Entourage a intégré dans sa gouvernance un comité de la rue, composé de personnes qui ont vécu ou vivent encore dans la rue pour être sûr que l’intégralité des solutions proposées au sein du réseau répondent à leurs besoins. Si on en juge les chiffres, c’est le cas puisque 100 % des personnes sans-abri qui utilisent l’application ont recréé du lien et 70 % d’entre elles ont construit un lien durable avec leurs riverain·e·s. Au-delà de ces outils utiles et nécessaires, de petits gestes peuvent vraiment changer la journée d’une personne dans la rue. C’est fou de le dire mais un simple « bonjour », un regard, un sourire, quelques minutes passées à discuter, ils nous disent que ça change leur journée, insiste Bénédicte. Mais discuter de quoi ? Ce n’est pas facile d’entamer la conversation. Bien sûr, il faut éviter de leur demander pourquoi ils sont dans la rue ou de quoi sera fait le lendemain... mais vous pouvez parler de choses et d’autres, comme avec votre bouchère : de la météo, de la rentrée des classes, de la loi de bioéthique si vous voulez... de choses du quotidien !
Faire tomber le masque social...
C’est important. Créer du lien, c’est souvent le premier pas vers la reprise de confiance en soi et dans les autres... et si ça ne permet pas de retrouver un toit ou un travail, ça reste un préalable indispensable à un retour à la «normale». Bénédicte nous encourage : Je vous invite vraiment à passer outre vos peurs ou votre gêne et à faire cette rencontre qui va vous transformer. Quand on s’arrête pour partager un moment, je ne sais pas ce qui se passe mais il n’y a plus d’enjeux sociaux, il n’y a pas de masque social, c’est vraiment un humain qui rencontre un humain, un cœur qui rencontre un autre cœur, et tous les membres du réseau nous partagent leur joie d’avoir franchi le pas.
Pour en savoir plus : https://www.entourage.social/
Objectifs de développement durable de l'Onu en lien :
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