Élise et Baptiste sont les fondateurs de "Créateur de forêt", une entreprise solidaire d'utilité sociale (ESUS) qui a pour mission de créer des forêts ET de promouvoir la biodiversité en sanctuarisant des lieux - à la ville comme "à la campagne" - d'au minimum 1,5 hectare et ce pendant 99 ans. Mais la forêt a-t-elle vraiment besoin de "créateurs" pour pousser ? Ça veut dire quoi, concrètement, créer des forêts et promouvoir la biodiversité ? Ont-ils vu des espèces remarquables grâce à leur travail ? Voilà quelques questions et tant d’autres… auxquelles ils ont eu la patience de répondre. Une interview qui a failli ne jamais démarrer tant Baptiste est difficile à arrêter quand il se met à courir, comme un enfant curieux et émerveillé, derrière les insectes qui nichent dans la forêt. On vous embarque dans cette balade en... utopie concrète ?
C’est en direction de Plaine-d’Argenson dans les Deux-Sèvres, entre La Rochelle et Niort, qu’Élise nous a embarqué (dans sa voiture électrique) depuis La Rochelle - plus précisément depuis Périgny où elle nous a donné rendez-vous pour observer l’état d’une forêt récemment plantée sur la commune par Créateur de forêt - pour rejoindre Baptiste sur le terrain qui héberge leur tout premier projet. Leur « appartement témoin » comme ils l’appellent. Ce terrain, attenant à une forêt et pour le reste bordé de champs de blé et tournesols, est à peu de choses près emblématique de leur travail. Sur cette ancienne coupe rase de résineux, Baptiste et Élise ont planté, grâce au soutien financier de 534 particuliers et de 54 entreprises (et de dizaines de bénévoles), quelque 1500 arbres, dont 30 essences différentes sur 1,7 hectares. L’objectif ? Créer une forêt pour y développer de la biodiversité.
AU FAIT, C'EST QUOI UNE FORÊT ?
Selon la définition officielle de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de l’Onu,
une forêt est caractérisée par cinq spécificités :
> une superficie minimum de 0,5 hectare (5 000 m2),
> la présence d’arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité in situ,
> un boisement de plus de 10 % du territoire considéré (vu du dessus),
> une largeur moyenne d’au moins 20 mètres,
> une utilisation qui n'est ni agricole, ni urbaine.
Bon, pas facile de distinguer une forêt diversifiée et gorgée de vie d'un champ d'arbres en monoculture avec cette définition...
Si les forêts sont des puits de carbone qui permettent de lutter contre le changement climatique (il va quand même falloir penser sérieusement à réduire drastiquement nos émissions car on émet beaucoup trop et qu’il faut des décennies voire des siècles aux arbres pour compenser ces émissions), elles sont aussi des écosystèmes gorgés de vie indispensable à notre survie, de plus en plus fragiles.
En plus d’être des lieux esthétiques où il fait bon se promener et le puits sans fond d’histoires plus ou moins extraordinaires !)
« La meilleure manière de préserver la nature, c'est de lui foutre la paix »
Retour à Plaine d’Argenson où une question nous brûle les lèvres : la forêt a-telle vraiment besoin de créateurs et la biodiversité de promoteurs pour s’épanouir ? Réponse directe de Baptiste : « Non ! La forêt, elle n’a besoin de personne pour pousser. Et à mon avis, l’idéal, avant de construire des projets, c’est de préserver l’existant, préserver nos belles forêts. La meilleure manière de préserver la nature, c’est sûrement la non-gestion, c’est de lui laisser son temps long, c’est de lui foutre la paix ! » Voilà qui est clair. Et loin de la vision industrielle de la forêt perçue comme ressource à exploiter par de plus en plus d’entrepreneurs (mais on ne va pas s’étendre sur ce sujet qui fera l’objet de notre prochaine newsletter !). « Et parfois, agir, c’est la condition d’un accélérateur du retour du vivant. Nous, notre métier, c’est d’agir sur des terrains plutôt abîmés comme c’est le cas ici où nous avions un écosystème dégradé. Et de promouvoir la biodiversité en animant, de manière vertueuse, des projets de création de forêt. On le fait grâce au financement de particuliers et d’entreprises ce qui nous permet aussi de sensibiliser et d’émerveiller les gens », ponctue Baptiste.
« On cherche toujours à faire ce qu’il y a de mieux pour chaque terrain »
Pour faire les choses bien, Baptiste et Élise passent leur temps à « dire non », refusant de succomber à la facilité. C’est ainsi qu’ils ont conservé, à Plaine-d’Argenson, les pousses existantes dans la préparation du terrain avant plantation de leur « nouvelle » forêt. Ce qui est un peu plus chronophage et onéreux que de passer l’engin forestier partout sans réfléchir mais tellement plus cohérent et bénéfique à la biodiversité.
« On cherche toujours à faire ce qu’il y a de mieux pour chaque terrain », explique Élise. Donc, ici, on s’est fait accompagner par un écologue, Alain Persuy, qui nous a aidés à déterminer quelles essences d’arbres et d’arbustes - il y en a une trentaine - il valait mieux planter, en tenant compte du lieu, pour préserver la ressource en eau et s’adapter au réchauffement climatique. Ensuite, il fallu préparer le sol pour la plantation avec un engin forestier afin d’assurer des bonnes conditions de pousse et de plantation pour les participant·e·s - des scolaires pour la plupart. Enfin, pour les fournitures, c’est-à-dire les arbres, les tuteurs, les poches de protection des jeunes pousses, etc., on choisit d’avoir vraiment le moins d’impact possible sur l’environnement en prenant soin, à chaque fois, de choisir des partenaires locaux et vertueux ». Concrètement, ça veut dire des essences d’arbres locales, des tuteurs réalisés à partir de chutes de bois, des poches de protection qui sont d’ancienne poches à huîtres (on y trouve parfois quelques coquilles agrippées) revalorisées… Bref, du temps, des efforts et des renoncements… qui font toute la richesse de Créateur de forêt. Et, on espère, de la biodiversité.
AU FAIT, C'EST QUOI LA BIODIVERSITÉ ?
Selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB), la biodiversité désigne l’ensemble des êtres vivants ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux.
La biodiversité répond directement aux besoins primaires de l’humanité en nous apportant oxygène, nourriture et eau potable. Elle contribue également au développement des activités humaines en fournissant matières premières et énergies. Elle est par exemple au coeur des activités agricoles grâce aux sols, aux insectes pollinisateurs, à la ressource en eau… ou au coeur de l’innovation comme c’est le cas dans la médecine.
Un coup de pousse et ça repart !
Bon, et concrètement, bichonnée comme elle l’est, la biodiversité s’épanouit-elle dans « l’appartement témoin » d’Élise et Baptiste ? Même si un an et demi de recul, c’est très court pour faire un bilan à l’échelle de la vie d’une forêt, on constate en effet que la biodiversité est revenue. Enfin, pas exactement « revenue », précise Baptiste :
« La biodiversité, elle était déjà là. Il y avait un écosystème avant mais en effet, elle est là encore plus. Nous, on se délecte de tout ce qui vole, qui butine, qui pique… et d’ailleurs on le montre sur notre site. Chaque fois qu’on voit un papillon, un insecte… on le prend en photo et on le met sur la photothèque pour montrer qu’une forêt c’est un écosystème ». Et à Plaine-d’Argenson, Baptiste passe son temps à courir derrière des bébêtes qui l’émerveillent comme cette Rosalie des Alpes inattendue (voir début de vidéo plus haut), espèce d’insecte rare dans ces contrées. Il nous confie également avoir vu l’Agrion de Mercure, une petite libellule bleue, un Engoulevent d’Europe (et non un Oedicnème criard comme dit dans la vidéo nous précise-t-il dans la coulisse), une couleuvre à collier et un tas d’autres merveilles… dont on vous glisse un échantillon ici et à retrouver sur le site de Créateur de forêt.
« Il y a une mésange dans l’érable »
Pour s’assurer de la bonne santé des écosystèmes et aussi tirer des enseignements, Élise et Baptiste travaillent avec des structures spécialisées comme le Groupe ornithologique des Deux-Sèvres ou encore Deux-Sèvres Nature Environnement qui effectuent des relevés sur l’état des espèces (oiseaux, insectes, mammifères, botanique, champignons, etc.). « C’est aussi un objectif que Créateur de forêt s’est donné, de répertorier les espèces qu’il y a sur le site et de les partager avec les gens dans un objectif pédagogique. On espère que, petit à petit, les gens vont se souvenir du nom d’un oiseau, d’un arbre… Et que, plutôt que de dire « il y a un oiseau dans l’arbre », ils finissent par dire « il y a une mésange dans l’érable », lâche Élise, enthousiaste et amusée.
« Planter un arbre, c’est difficile ! »
Mais faire pousser des forêts n’est pas une science précise, ça n’est pas mécanique et ça demande de rester humble. « Ce dont on s’est rendu compte ici, c’est que planter un arbre, c’est difficile. C’est du vivant et qui dit vivant dit mortel ». Quelques jours après notre rencontre et ces mots de Baptiste, Élise et une équipe sont venus faire un décompte des effectifs. Résultat, un taux moyen de mortalité de 16%, inférieur à ce qu’on observe dans les forêts moins diversifiées. Autre enseignement : sur cette parcelle divisée en quatre zones, il semblerait que la mortalité des arbres et arbustes est moins importante dans les zones protégées par des haies en bordure de parcelle.
Évolution du terrain à Plaine-d'Argenson depuis 2021. © Créateur de forêt
La forêt préserve (et crée) la ressource en eau
Planter des arbres, c’est aussi excellent pour préserver la ressource en eau nous explique Baptiste.
« On a porté deux projets pour préserver la ressource en eau dont un dans une zone de captage d’eau potable qui était polluée par des pesticides interdites sur le marché depuis une quinzaine d’années. Hé bien en plantant des végétaux, des arbres et des arbustes, on contribue à ralentir voire à arrêter le ruissellement, à dépolluer les sols, ça s’appelle la phytoremédiation. Et comme c’est la végétation qui fait le climat par le phénomène d’évapotranspiration, on a besoin de végétation pour avoir de la pluie et ainsi contribuer au cycle de l’eau ».
Sanctuariser des terrains pendant un siècle
En dehors de Plaine-d’Argenson, cas particulier puisqu’il leur appartient, Créateur de forêt agit sur des terrains qui appartiennent à des collectivités et qui veulent s’engager à préserver la biodiversité. Les pré-requis ? Disposer d’une surface d’au moins 1,5 hectare et ne pas y toucher pendant 99 ans. Le péché-mignon de Baptiste et Élise ? Les terrains « où il y a un intérêt à ce que les humains interviennent » comme des anciennes stations d’épuration, des décharges de déchets inertes, des zones de captage d’eau potable, des anciennes coupes rases…
On ne juge pas, on a toutes et tous nos petites lubies… ;-)
Plus sérieusement, demander à des élu·e·s de sanctuariser ces zones au potentiel économique certain, ce n’est pas s’exposer à de nombreux refus ? « C’est sûr que ça demande un certain engagement. La plupart des gens qui nous soutiennent dans ces projets sont des gens avec des convictions », explique Élise. Avant que Baptiste ajoute, mi-commercial, mi-facétieux : « Je pense que c’est très juteux notre projet. Et qu’on crée de la richesse ! La préservation de la biodiversité, c’est la santé humaine, c’est la beauté de nos territoires, c’est de la création d’emplois, il y a un impact social et économique. »
Deux oeufs d'engoulevent trouvés sur le site de Plaine-d'Argenson cette année.
Photo et commentaire par Baptiste :
"Cet oiseau est incroyable : il niche au sol. Quasiment pas de nid. C’est très rudimentaire comme on peut le voir. On a pu voir deux poussins depuis. Je précise que la photo est zoomée car on n'a pas voulu s’approcher trop près pour ne pas déranger ou laisser notre odeur, afin que la mère revienne".
Compter ce qui compte vraiment
D’ailleurs, l’équipe de Créateur de forêt travaille, avec l’aide de partenaires comme Citizing et sur la base d’études existantes, à la création d’indicateurs sociaux et environnementaux pour que le critère économique ne soit pas la seule boussole dans le calcul (utile dans le monde actuel et superfétatoire dans le monde d’après ?) du retour sur investissement. Comme pour compter ce qui compte vraiment. Mieux… pour conter ce qui compte vraiment ! L’entreprise se veut aussi transparente sur son modèle économique, accessible sur son site. En moyenne, monter les projets de Créateur de forêt, avec tout ce que ça comporte en achats de fourniture et en prestations de service, ça coûte 3€ du mètre carré. Auxquels il faut ajouter 2€ par mètre carré pour faire tourner la structure, récemment labellisée ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale) et ses cinq salarié·e·s. Soit 5€ HT par mètre carré que Baptiste ne souhaite pas collecter à n’importe quel prix auprès des particuliers et entreprises qui financent les projets. « On veut pas juste de l’argent et faire des publications sur les réseaux sociaux, on veut embarquer les gens sur le long terme, on veut qu’ils adhèrent au projet ». Sur la dizaine de projets montés dans six départements, ça semble être le cas.
« Un projet plus humain qu’écologique, en fait »
Élise confirme. « Oui, il y a un volet social fort qui vise à sensibiliser et impliquer les acteurs de chaque territoire. Ici, on a fait travailler un chantier d’insertion sur le projet. Il y a aussi les élèves du lycée horticole qui sont venus planter les arbres. On en profite pour expliquer qu’on plante des arbres mais que ces arbres sont des habitats pour héberger tel type d’insectes ou d’oiseaux ». Et Baptiste d’ajouter, réaliste : « On ne va pas vendre de rêve, quand on plante, en général, il pleut et il fait froid. Hé ben les gens viennent quand même. Je me souviens même d’un chantier de plantation où il avait plu pendant une semaine et où il pleuvait fort le jour J. On était en difficulté car on avait des plants aux racines nues qu’il fallait mettre en terre avant le gel annoncé pour la semaine d’après… hé bien il s’est passé un truc de dingue où on a vu ce que c’est la force du collectif. Tout le monde est venu nous aider et s’est fédéré autour d’un objectif commun : planter les arbres avant le gel. Ce jour-là, on a planté deux fois plus d’arbres que d’habitude. Ça nous montre que l’action révèle le meilleur côté de l’humanité. On reçoit aussi des messages de gens qui ne peuvent pas venir aux sessions de plantation et qui sont content·e·s de donner de l’argent pour financer ces projets et nous disent qu’on leur permet, par procuration en fait, de faire ce qu’ils et elles ont toujours rêver de faire ! En fait, je pense que notre projet est plus un projet humain qu’écologique ! ». Des histoires comme celle-là, Baptiste en a plein, comme celle du chantier avec les membres d’un IME qui lui ont fait prendre conscience qu’avec Créateur de forêt, il était à sa place. Avec un métier qu’il est fier d’expliquer à ses enfants.
Histoires et plein d’autres infos comme le 2040 rêvé d’Élise et Baptiste à retrouver dans le Pandas Cast #02 :
Vous l’avez compris, Créateur de forêt est définitivement un prétexte à quelque chose de bien plus grand que « simplement » faire pousser des arbres. Il vise à émerveiller et à faire société, en harmonie avec le vivant, là où on pourrait se laisser aller au fatalisme et au « à quoi bon ? ». Chez Les Pandas Roux, vous le savez, on aime les mantras de l’Institut des Futurs souhaitables. Il y en a un qu’Élise et Baptiste incarnent à merveille : « Il vaut mieux écouter le bruit de la forêt qui pousse plutôt que celui de l’arbre qui tombe. »
Pour en savoir plus : https://www.createurdeforet.fr
Objectifs de développement durable de l'ONU en lien :
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