Du 18 au 20 septembre, les 14e Assises nationales de la biodiversité se tenaient à La Rochelle. On partage trois coups de coeur pour des discours et projets qui tendent vers des futurs (en)viables.
On commence par un coup de stupeur : aucun·e ministre - ni même ministre délégué·e - n’a fait le déplacement pour ces journées qui ont rassemblé 1 500 visiteurs, 300 intervenant·es et 50 structures-exposantes à l’Espace Encan de La Rochelle. Normal, le gouvernement démissionnaire gère uniquement les affaires courantes. Le coup de stupeur vient du fait que si les Assises avaient lieu cette semaine, aucun·e ministre en charge de la biodiversité ne se serait présenté·e puisque le ou ladite ministre n’existe tout simplement pas. Aucune trace du mot « biodiversité » dans la liste des 39 portefeuilles ministériels du gouvernement de Michel Barnier. Un détail nous direz-vous ? Probablement que la biodiversité est incluse dans l’un des portefeuilles voire dans plusieurs ? Probablement.
L’info clé
Nous sommes dans la sixième extinction de masse des espèces.
La première dont la responsabilité incombe, de source scientifique, à l’Homme.
Autre particularité : elle va 100 à 1000 fois plus vite que les précédentes.
Or, la biodiversité, selon l’Office Français de la biodiversité, désigne l’ensemble des êtres vivants
ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions
des espèces entre elles et avec leurs milieux.
Avoir un ministère dont le nom intègre la « biodiversité » ne nous semble donc pas si anecdotique.
« La nature, clé de voûte de l’humanité »
C’est le thème de ces 14e Assises organisées par IdealCO, l’association des éco-maires de France et les collectivités locales (la région Nouvelle Aquitaine, le département de la Charente-Maritime, l’Agglo de La Rochelle). Dans les discours des officiel·les lors de la plénière d’introduction, on a entendu de vraies belles choses. En particulier dans le plaidoyer vibrant et sincère de Chantal Vetter, adjointe au maire de La Rochelle en charge de la nature en ville, de la végétalisation, de la biodiversité, du littoral et de la protection des côtes, des cimetières et des parcs animaliers (vous pouvez relâcher votre souffle) pour « préserver les espaces naturels existants dont dépendent nos vies ». Cela nous a rappelé l’entretien passionnant que nous avions eu avec elle l’année dernière sur la politique de la ville de La Rochelle en la matière. Un autre discours a retenu notre attention : celui de Guillaume Riou, vice-président de la région Nouvelle Aquitaine, en charge de la transition écologique et énergétique et de Néo Terra, qui parle d’économie symbiotique, d’économie du soin, de jeunesse qui a un autre rapport au temps et au travail, de bifurcation de certaines élites en son sein, du phénomène d’inversion éducative qui a cours… bref, d’un tas de sujets profonds et pertinents, rarement présents dans la bouche d’élu·es ni sur les plateaux TV/radio. Nous l’avons interviewé aux côtés de Philippe Boyer, président d’IdealCO, fondateur des Assises nationales de la biodiversité.
« La vie est grandement en danger. On a vécu pendant deux siècles avec l’idée qu’on était le maître absolu de la nature et que la nature était un objet à consommer, à exploiter. On voit aujourd’hui qu’on a atteint les limites. »
Philippe Boyer
« Je ne vois pas autre chose que cette réforme profonde, ce récit politique […] du XXIe siècle qui s’ouvre que celui de la symbiose entre l’Homme et la nature, l’Homme et ses écosystèmes… dans une relation à bénéfices réciproques. »
Guillaume Riou
Peak oil et chouettes chevêches
Guillaume Riou explique que nos démocraties modernes reposent sur un modèle extractiviste, une forte consommation énergétique et la promesse de lendemains enchantés toujours meilleurs. C’est vrai. Et ce modèle de développement n’était qu’une parenthèse, dont le paroxysme fut atteint durant les trente glorieuses, au prix de la destruction de la nature (et au détriment de la majorité des être humains habitant la planète). Petite précision sur le « Peak oil », qui définit le moment où la consommation de pétrole commence à décliner de manière irréversible : Guillaume Riou le situe à 2008. L’Agence Internationale de l’Énergie l’a en effet un temps situé à cette date mais le « Peak oil » fait l’objet d’actualisations régulières. Aujourd’hui, l’agence parle de 2025-2030. Qu’importe, les ordres de grandeur et la tendance sont justes : la pétrole bon marché arrive à sa fin et, quoi qu’on découvre de nouvelles réserves, il faut de toutes les manières laisser 80% des ressources identifiées à ce jour dans les sous-sols pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le Climat et limiter le réchauffement climatique à +1,5°C d’ici 2100 (ce qui est déjà perdu puisque nous sommes à 1,3°C). Et mener d’urgence une transition de nos modèles de sociétés avec comme cap, comme le souligne Guillaume Riou, une relation symbiotique entre les hommes/femmes et leurs écosystèmes.
En parlant d’écosystèmes, on a demandé, en fin d’entretien, quels étaient les coins de biodiversité préférés des deux interviewés. Philippe Boyer a répondu « mon jardin, dans lequel j’essaye d’entretenir une grande variété d’espèces. C’est un coin d’harmonie et ça, c’est fabuleux ». Guillaume Riou, agriculteur biologique, a peu ou prou répondu la même chose : « J’entretiens la biodiversité sur les espaces dont je m’occupe en tant qu'agriculteur […] et un soir, j’étais sur mon canapé et je vois des oiseaux venir sous mes tuiles. Je me dis « tiens, des étourneaux qui nichent ». Et le deuxième, troisième soir, j’ai compris que ce n’étaient pas des étourneaux mais un couple de chouettes chevêches. Que j’ai trouvé en parade, sur une branche de pin, l’un à côté de l’autre. Et ils m’ont offert des poussins ce printemps. Voilà, c’est l’émerveillement de la nature au quotidien quand on a la chance de vivre à la campagne. Et ça, je crois aussi que c’est un droit humain. »
En effet. Espérons que chacun·e puisse en jouir dans les meilleurs délais.
Chouette Chevêche - © Pixabay
La biodiversité en quelques chiffres
À ce jour, environ 2 millions d’espèces sont connues sur Terre (végétaux, animaux, insectes, champignons, bactéries, etc.) On estime qu’il en existerait entre 8 et 20 millions.
Selon le WWF, les populations de vertébrés sauvages ont diminué de 68% depuis 1970.
Le réchauffement climatique a des effets sur la biodiversité et entrainerait une diminution de la diversité animale terrestre de 10% à horizon 2050, de 27% à horizon 2100.
En 2024, plus d’un million d’espèces mondiales pourraient être menacées de disparition cette année.
Selon l’UICN, en France, ce sont 14% des mammifères, 24% des reptiles, 23% des amphibiens et 32% des oiseaux nicheurs qui sont menacés de disparition.
Nicole King : peindre le beau pour préserver le vivant ?
Ces deux jours aux Assises nationales de la biodiversité nous ont conduit vers Nicole King, une artiste au parcours atypique. Après une carrière d’ingénieure environnementale pour une multinationale pétrolière puis un rôle d'experte « eau et pollution » pour le Fonds mondial pour la nature (WWF), Nicole est aujourd’hui une artiste-peintre et conférencière qui met son art au service de l’écologie scientifique. Son message : « On assiste à un effondrement de la biodiversité. Et d’une certaine manière à un effondrement de la beauté dans la nature. La beauté est aussi en voie de disparition dans l’art puisque c’est l’art contemporain, assujetti aux affaires, le « Financial art » qui a voix au chapitre et qui refuse la beauté. Moi, je suis une artiste qui veut défendre la beauté de la nature et faire des oeuvres qui tiennent compte de la nature, qui soient belles et qui aient du sens. »
Nicole défend donc un « art écologique » et son style figuratif, qui s’inscrit dans la tradition dans grands maitres dont elle maîtrise toutes les techniques, mixe peinture à l’eau - en écho à cette thématique qui lui est chère -, peinture à l’huile pour évoquer le vivant et, parfois, le transfert photo pour évoquer l’irruption de la technologie humaine dans la nature.
« Mon message, c’est l’interdisciplinarité entre art et science
pour sauvegarder la beauté aussi bien dans l’art que dans la nature »,
Nicole King
Pour découvrir le travail de Nicole et/ou vous procurer son livre "Pour une eau vivante", rendez-vous sur son site : https://www.nicoleking.fr/
Fréval, l’érosion du trait de côte redessine le sentier littoral
La troisième rencontre qui nous a marqué est celle avec Valérie Nouvel, vice-présidente du Conseil départemental de la Manche, en charge de la transition et de l’adaptation au changement climatique. Pour le projet d’aménagement du sentier littoral qu’elle conduit depuis 2019 en lien avec le Conservatoire du littoral, le SyMel (Syndicat Mixte Espaces Littoraux de la Manche) dont elle est également vice-présidente et l’État. Au cours des dix dernières années, dans la commune de Fermanville, les dunes du secteur de Fréval ont plusieurs fois été transpercées par la mer lors de tempêtes. Créant une brèche de quelques mètres, qui s’est élargie à 20m lors de la dernière tempête, rendant le sentier littoral (le GR 223) vulnérable. Alors, plutôt que de lutter contre la nature et l’inexorable montée des eaux et l’érosion du trait de côte, le choix de reculer le sentier 200m plus haut a été acté, assorti d’un renforcement du cordon dunaire à l’aide de ganivelles et de la préservation de cette nouvelle zone humide. Il n’y a aucune garantie que la dune ne soit pas de nouveau endommagée par l'érosion mais les premiers résultats sont assez encourageants. La dune se porte bien et la végétation gagne même la zone désormais préservée du passage des randonneur·euses. Quant au nouveau sentier, il n’est certes plus « les pieds dans l’eau » mais son recul lui ayant permis de gagner en hauteur, il est utilisable toute l’année (au contraire de l’ancien) et il offre aux riverain·es et touristes une vue surplombante et panoramique sur le cap Lévi, son sémaphore et le phare. Bref, l'expérience semble même plus qualitative. Un exemple qui montre qu’adopter une vision systémique peut permettre de gagner sur tous les tableaux : l’adaptation au changement climatique et la préservation des écosystèmes sans nuire à l’attractivité d’un site touristique. Évidemment, cela se fait sur le temps long et dans la discussion. Tantôt avec les agriculteurs pour le rachat du foncier idoine, tantôt avec les habitant·es qui avaient l’habitude de se promener à flan de dune et pour lesquel·les le déménagement du sentier pouvait être synonyme d’une perte de qualité de la balade vespérale (ou matutinale). Et jusqu’ici, tout va bien. Mais on se déplacera sur site pour vérifier. ;-)
Littoral, zone de Fréval - © Mairie de Fermanville
Objectifs de dévloppement durable en lien :
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